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Pour ce nouvel épisode, j’ai le plaisir d’accueillir Carole Lailler, Docteur en Sciences du Langage, linguiste passionnée par le traitement automatique de la parole. Carole est aussi consultante en Intelligence artificielle où les défis conversationnels font partie de son quotidien avec par exemple la préparation et les cartographies des données en amont des systèmes, l’analyse des erreurs et remédiations en aval… En deux mots, l’IA, les corpus sont au cœur de ses préoccupations.
« Nous savons que les LLM créent souvent une version “polaroid” de notre réalité linguistique. Ils capturent les usages actuels, mais ne créent pas véritablement de nouveauté. C’est à nous, en tant qu’humains, d’apporter la nuance et la profondeur nécessaires à ces contenus. » - Carole Lailler.
L’IA et la langue : une coévolution ?
Carole Lailler aborde dans son interview plusieurs thèmes liés à l’impact de l’IA, notamment les grands modèles de langage (LLM), sur la langue et la culture, les stéréotypes que nous avons tous et toutes… les biais générés par la machine, l'impact de l’IA sur nos raisonnements. Est-ce l’absolue nécessité pour les communicants de prendre en compte ces différents éléments dans une communication de marques ? Pour autant l’uniformisation, l’appauvrissement par extension, des idées et des points de vue peut-il conduire à une mésinformation de plus grande échelle ? Enfin, l’IA est-elle compatible avec nos objectifs législatifs de RSE ?
Comme le souligne Carole, « les langues ont toujours évolué au fil du temps et des influences. Le français n’est pas une langue morte, il évolue sans cesse… et aujourd’hui, l’IA, les LLM, comme ChatGPT, par exemple, produisent des textes que nous lisons, que nous intégrons et utilisons au quotidien. Ce qui est intéressant, c’est que l’IA est devenue un acteur dans ce processus naturel de transformation de la langue. »
Langue et culture : une transformation inévitable ?
L’une des questions soulevées dans cette discussion est celle de l’oralisation de l’écrit par l’IA. Les modèles comme les LLM créent du texte de plus en plus proche de la conversation humaine. Ce phénomène nous pousse à repenser notre manière d’écrire, voire de parler. Cette évolution, bien que naturelle, pose une question cruciale : l’IA nous aide-t-elle à enrichir nos pratiques linguistiques ou au contraire, contribue-t-elle à une certaine uniformisation du langage ? Carole rappelle que l’un des risques serait plutôt de « tomber dans une infobésité non contrôlée où l’on consomme des contenus sans prendre le temps de les analyser en profondeur ». En revanche, l’IA peut aussi nous pousser à développer de nouveaux réflexes pour lutter contre cette surabondance d’informations, en recherchant des contenus plus authentiques, plus nuancés.
« Les LLM, ce n’est pas du neuf, on recycle avec un LLM, on recycle, on infuse. Et donc on ne fait pas de notes, ce n’est pas vrai… On fait une photo qui, parfois, peut donner un peu d’éclat, mais ce n’est pas du neuf. »
Carole utilise aussi une belle métaphore en comparant l’évolution linguistique à une mode : certaines tendances linguistiques s’en vont et reviennent, tout comme les mini-jupes ! Un des points clés abordés par Carole est l’importance du contexte dans l’usage des LLM. Ces systèmes fonctionnent en analysant les « tokens », des unités de langage qui ne sont pas exactement des mots, mais des segments de mots. Cela montre bien que pour produire des résultats pertinents, l’IA doit être immergée dans un contexte précis, et c’est là que se pose la question de l’interprétation des contenus générés.
Biais et éthique dans l’IA : un enjeu incontournable
Un autre aspect abordé est celui des biais dans l’IA. Les modèles linguistiques reflètent souvent des stéréotypes préexistants, que ce soit en termes de genre, d’âge ou d’autres catégories. Par exemple, Carole souligne que : « les LLM tendent à associer systématiquement des hommes à des voitures et des femmes à des caractéristiques physiques ». Ces représentations biaisées peuvent amplifier des stéréotypes existants et poser de réels défis éthiques.
Mais ces biais peuvent aussi nous aider à prendre conscience des clichés pour mieux les déconstruire. Il est essentiel que les créateurs de ces systèmes veillent à introduire davantage de diversité et d’inclusion dans les données utilisées pour entraîner ces modèles. Les marques, en particulier, doivent faire attention à ne pas reproduire ces biais lorsqu’elles communiquent avec des publics divers à l’international notamment.
IA générative : outil ou simple miroir ?
Carole pose au fil de son interview, une question centrale : l’IA est-elle simplement un miroir de notre réalité, ou peut-elle nous pousser à explorer de nouvelles perspectives ? Elle explique comment l’IA générative recycle du contenu déjà existant, créant une forme d’uniformisation des idées. Et cela soulève une question importante : comment, en tant que communicants ou créateurs de contenu, pouvons-nous sortir de cette uniformisation pour proposer des idées innovantes et uniques ?
La réponse, selon Carole, réside dans l’éducation et l’usage critique de ces technologies : « Les LLM ne sont pas autonomes, ils sont le résultat de données préexistantes, et c’est à nous de les utiliser avec discernement. En tant qu’utilisateur, il est de notre responsabilité d’aller au-delà des réponses toutes faites, et de creuser les informations pour découvrir la diversité des perspectives disponibles. »
Les 5 points à retenir de cette interview
1. L’évolution de la langue sous l’influence de l’IA
L’intelligence artificielle à travers les grands modèles de langage (LLM), participe à l’évolution continue de la langue. Les IA comme ChatGPT par exemple, influencent la façon dont nous communiquons, en transformant l’écrit pour le rendre plus conversationnel.
2. L’impact de l’IA sur la culture et l’uniformisation du langage
L’IA générative contribue à une certaine uniformisation des idées et du langage, en recyclant du contenu préexistant. Toutefois, elle peut aussi enrichir les pratiques linguistiques si elle est utilisée de manière créative et critique.
3. Biais dans les modèles linguistiques
Les IA, reflétant souvent des stéréotypes présents dans les données utilisées pour leur entraînement, peuvent perpétuer des biais, notamment en termes de genre ou de catégories sociales. Ce phénomène soulève des enjeux éthiques importants.
4. L’importance du contexte dans l’IA générative
Les modèles de langage produisent du contenu basé sur des unités linguistiques (tokens) qu’ils analysent dans un contexte spécifique. Cela montre la nécessité d’une contextualisation précise pour garantir des résultats pertinents et nuancés.
5. Le rôle des utilisateurs dans l’interprétation et l’usage de l’IA
L’IA, bien qu’utile pour générer des contenus rapidement, reste un miroir de notre société. Il revient aux utilisateurs d’adopter un usage critique et de chercher à diversifier les perspectives pour éviter l’uniformisation et favoriser l’innovation.
En conclusion
Arrêtons de croire que le français est une petite mamie chétive sur le point de mourir ! Les langues bougent et évoluent, c’est leur lot quotidien. Les outils d’IA, en infusant nos langues, font tourner les modes langagières plus vite, voilà tout ! Les outils d’IA appliqués aux textes et à la parole nous entraînent davantage vers les codes bien fixés que vers la diversité des usages mais ils nous poussent aussi à nous renouveler. À nous de savoir si l’on préfère la codification aux interactions. L’IA, et en particulier l’IA générative, influence indéniablement notre manière de communiquer et d’interagir avec la langue et la culture. Mais cette influence est loin d’être unilatérale. Nous avons un rôle à jouer dans la manière dont nous utilisons ces technologies, que ce soit pour enrichir nos échanges, combattre les biais, ou explorer de nouvelles formes de créativité.
Dans un monde où les LLM et autres outils d’IA sont de plus en plus omniprésents, il est essentiel de rester vigilant et de continuer à développer notre esprit critique. Comme le dit si bien Carole, « il ne s’agit pas de se contenter de “manger tout cru” ce que l’IA nous offre, mais de savoir quand prendre du recul et approfondir nos réflexions. »
«Enfin, parfois, on s'acharne pour de la séduction, pour de l'interaction, à vouloir mettre un peu de nouveauté. On est vraiment un vrai être humain et tout à chacun différent, oscillant entre paresse quotidienne, et envies de lutte contre l'ennui, de curiosité et d'innovation. Et donc, il y a des domaines qui nous passionnent, on va aller creuser et d'autres qui nous ennuient davantage et donc Chat GPT va répond à notre besoin.
Et c'est dans cette diversité-là, et dans cette oscillation-là, entre paresse et réponse à cette paresse et envie de lutter contre l'ennui parce que, quand même, les jours raccourcissent et il pleut, donc il faut bien s'occuper… Il va falloir creuser. »
Et vous, comment pensez-vous que l’IA va influencer notre manière de communiquer dans les années à venir ?
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